- VISNU ET VICHNOUISME
- VISNU ET VICHNOUISMEOn ne peut véritablement séparer le vichnouisme de l’ensemble religieux de l’Inde brahmanique: il n’est qu’un des aspects de l’hindouisme. Les germes en remontent aux temps védiques et, depuis deux millénaires, la forme qu’il revêt n’a pas profondément changé. Parallèle au shivaïsme, en étroite liaison avec lui, il présente la même ancienneté et évolue de façon analogue au cours des siècles. Bien que de nombreux textes proclament Vi ルユu «dieu des brâhmanes», il n’en reçoit pas moins, de même que えiva, un culte populaire, tantôt comme l’une des divinités majeures de l’hindouisme, tantôt – et c’est alors qu’on peut parler de vichnouisme – comme l’Absolu personnifié auquel se subordonnent tous les autres dieux: plus exactement, ceux-ci ne sont plus considérés dans ce contexte que comme des manifestations secondaires de Vi ルユu, Dieu suprême.1. Vi size=5ルユuVi ルユu (autres transcriptions non retenues ici: Vishnu, Vichnou), l’une des deux grandes figures du panthéon hindou, est, comme えiva, une divinité complexe qui a, au cours des siècles, drainé nombre de courants issus de traditions diverses.Origine et identifications à N size=5r size=5ya size=5ユa, le Puru size=5ルa et BhagavantL’étymologie du nom de Vi ルユu reste incertaine; plusieurs ont été proposées, qui toutes relèvent plus d’un désir d’explication en rapport avec le personnage même que d’une démarche philologique assurée. On peut être tenté de voir dans cette difficulté d’interprétation une preuve de l’origine lointaine de cette dénomination, déjà attestée aux temps védiques. Vi ルユu était alors associé à d’autres êtres divins, les ditya, fils d’Aditi, la «Sans limites»; les sept ditya primitifs devinrent huit, puis, à une époque plus récente, douze, et on les assimile alors aux mois de l’année.L’une des plus vieilles légendes concernant Vi ルユu est celle du nain V mana, qui se mue soudain en géant et parcourt en trois pas – deux visibles, le troisième invisible – la triade des mondes. On y a vu la trace d’attaches solaires du dieu: les trois pas (trivikrama ) seraient l’image de la marche diurne et nocturne du Soleil; le nain devenu géant prend lui-même ce nom de Trivikrama.Il se peut qu’une notion solaire soit ici sous-jacente, mais ce qu’il faut surtout retenir, c’est l’affirmation d’une qualité permanente du dieu: l’omniprésence, la faculté de se propager et de se développer indéfiniment dans l’espace. À la différence de えiva, dont le rapport au Temps s’affirme à haute époque, Vi ルユu présente dès l’origine un caractère de dieu spatial. Peut-être le fait que, par la suite, les deux divinités ont été souvent perçues comme plus complémentaires qu’antithétiques est-il une conséquence de ces deux positions initiales.L’expansion illimitée du dieu englobe l’univers entier; la notion de Totalité avec laquelle il se confond plus tard et qui le fera identifier avec le brahman se révèle déjà sous-jacente dans le ブgveda . Omniprésence, Totalité, il est aussi, en conséquence, l’«Omniperméant», celui qui de l’intérieur soutient et régit tout ce qui existe.Connu en tant que Vi ルユu même dès la plus haute antiquité, le dieu se verra assimiler une autre figure majeure qui apparaît dans les br hma ユa , N r ya ユa. Semblable en cela à Praj pati, le Maître des créatures, l’Engendreur (mais la procréation qui en procède est fonction du sacrifice), N r ya ユa, dans le えatapatha Br hma ユa , se place au centre du sacrifice. Il en est à la fois la victime, l’exécuteur et le bénéficiaire: de lui-même, il se sacrifie lui-même à lui-même. Une voix incorporelle lui avait enjoint: «sacrifie»; toutes les divinités auxquelles s’adressait le rite ayant disparu, il demeure seul concerné.Cette position particulière entraîne son identification avec le Puru ルa, c’est-à-dire le Géant cosmique que l’hymne X.90 du ブgveda montre dépecé par les dieux en un sacrifice dans lequel, avec son corps démembré, est créé le monde. Là encore, son aspect «Totalité» s’impose.Nombreux sont les textes qui, par la suite, proclameront que Vi ルユu est le Puru ルa, l’Être, voire le Puru ルottama, l’Être suprême. Le glissement d’une notion à l’autre, d’un nom à l’autre a été facilité, en ce qui concerne N r ya ユa et Puru ルa, par le fait que, dans son sens courant, puru ルa signifie «homme» et que N r ya ユa apparaît comme un dérivé de nara qui lui est synonyme. L’iconographie a popularisé l’image de N r ya ユa endormi sur les replis du grand serpent d’infinitude, à la surface des eaux cosmiques, durant la période de résorption universelle.Si le lien entre Vi ルユu et N r ya ユa est clair dans le えatapatha Br hma ユa , on trouve attestée très tôt également – par exemple dans la B リhaddevat , qui date peut-être du IVe siècle avant J.-C. – une association entre Indra et Vi ルユu, qui prépare à l’adoption par ce dernier d’un certain nombre de traits caractéristiques dont le plus important est celui de «tueur de démons». À ce niveau, Vi ルユu seconde Indra; bientôt, il assumera seul cette tâche.Dans le Mah bh rata , l’épisode célèbre de la Bhagavad G 稜t magnifie l’Absolu personnifié sous le nom de Bhagavant, le gracieux Seigneur, épithète dévolue à K リルユa. Du bh gavatisme, il existe d’autres témoignages anciens; des inscriptions du IIe et du Ier siècle avant J.-C. donnent le nom de V sudeva (fils de Vasudeva, c’est-à-dire K リルユa) comme étant celui du dieu des bh gavata , les disciples du Bhagavant. V sudeva, à son tour, deviendra une appellation de Vi ルユu; le passage s’opère à travers le personnage de K リルユa, que des textes plus tardifs donnent comme un avat ra , une incarnation de Vi ルユu. Mais il ne faut pas perdre de vue le fait que, dans la G 稜t , c’est le nom de la divinité suprême, revêtue de tous les caractères qui seront ceux de Vi ルユu dans l’hindouisme. Vi ルユu lui-même n’est mentionné qu’épisodiquement, comme le premier de la catégorie divine à laquelle il appartenait à l’origine, celle des ditya (X.21). Encore cette affirmation n’a-t-elle là qu’une importance très secondaire: elle intervient dans une énumération où K リルユa se donne comme la quintessence de toutes les catégories d’êtres ou d’objets remarquables.Vi size=5ルユu et K size=5リルユaL’assimilation de K リルユa et de Vi ルユu a dû pourtant se produire vers cette époque (IIe s. av. J.-C.). K リルユa comme Dieu suprême préexistait à cette identification. Divinité de tribus pastorales et forestières, lui non plus ne se présente pas sous un visage simple. Dans le Mah bh rata , en dehors de la Bhagavad G 稜t et de quelques autres passages spéculatifs, son aspect de guerrier apparenté aux deux clans rivaux des P ユボava et des Kaurava s’affirme beaucoup plus que sa nature divine. Toutefois, comme en filigrane, transparaît à travers le récit le sentiment qu’il ne s’agit pas d’un personnage ordinaire: le simple fait de l’avoir choisi pour allié plutôt que son armée est pour les P ユボava un gage de victoire, ce qui contredit toute interprétation purement humaine de ce qui le concerne.Il se peut, toutefois, que sa légende soit venue se greffer sur celle, magnifiée, d’un guerrier qui appartenait à une tribu des environs de Mathur et que la postérité avait divinisé. Mais cette magnification s’est vraisemblablement produite à une date très ancienne. Par la suite, le mouvement s’accentuera, et des textes tels que le Hariva ュ ごa (IVe s. apr. J.-C.) appuient sur le côté merveilleux que développeront les pur ユa , textes épiques dont la composition s’étage du IVe au Xe siècle. Le Hariva ュ ごa insiste sur l’enfance de K リルユa, que le Mah bh rata négligeait. Les exploits du fils de Vasudeva, sauvé de la mort à laquelle le vouait son oncle, usurpateur du royaume, mettent en évidence sa toute-puissance innée.Dans ce texte aussi apparaît le héros que les légendes ultérieures rendront populaire: le jeune pâtre autour duquel se pressent les bergères (gop 稜 ) amoureuses. Les mystiques du Moyen Âge indien verront dans ce thème la ronde empressée des âmes en quête de délivrance autour du Dieu suprême de la bhakti (dévotion).Le Vi size=5ルユu de l’hindouismeQuoi qu’il en soit, c’est aux environs de l’ère chrétienne que la physionomie du dieu a revêtu la plupart des traits qui le caractériseront désormais. Diverses théories sont bâties pour tenter de rendre compte à la fois de l’immutabilité de la Personne suprême et de son activité, qui crée, protège et détruit le monde.La notion de la triade divine (Brahm -Vi ルユu-Rudra), dont chaque membre préside à l’une de ces trois fonctions, a toujours été saisie, non comme la juxtaposition de trois activités autonomes, mais comme la représentation des différentes manifestations d’une Totalité qui les englobe toutes. Dans les courants issus des upani ルad , elles apparaissent comme des personnifications du brahman impersonnel. Dans le shivaïsme, où le groupe porte le nom de trim rti (triplicité de formes), un えiva suprême coiffe ces trois figures limitées de l’énergie divine. Dans le vichnouisme, la Personne suprême, appelée tantôt Vi ルユu, tantôt V sudeva ou N r ya ユa, tantôt seulement Bhagavant, règne également sur les différentes manifestations d’une puissance unique.Toutefois, ce n’est pas là la seule façon dont le vichnouisme préserve le caractère primordial du dieu considéré dans son essence même: son immutabilité, son inactivité.Sur le plan de la création cosmique, l’explication la plus courante est popularisée par l’iconographie: du nombril de Vi ルユu-N r ya ユa, plongé dans un sommeil yogique sur le serpent Ananta, surgit un lotus; au cœur de celui-ci naît le démiurge Brahm , assumant la fonction qui lui est dévolue depuis les br hma ユa.Ce rôle de Brahm a peut-être contribué à freiner dans l’ensemble le développement du shaktisme à l’intérieur du vichnouisme. Bien qu’il existe un courant tantrique vichnouite, particulièrement important dans le sud de l’Inde, la croyance au pouvoir créateur de Brahm s’y maintient, souvent sans faire directement appel à la ごakti , forme féminine personnifiée de l’énergie du dieu et inséparable de lui.À ce schéma général s’allient d’autres doctrines visant à préserver de toute altération la notion du dieu impassible, omniprésent et omniperméant – toute action appartenant au domaine du mesurable et donc de la relativité.Très tôt, dans l’une des traditions qui se continuent jusqu’à nos jours, on a considéré deux sortes d’activités divines: l’une permanente, étroitement liée à l’évolution cosmique; l’autre occasionnelle, en rapport avec le maintien ou le rétablissement de l’ordre, à la fois moral et cosmique, car ces deux points de vue sont indissociables dans la pensée religieuse indienne.Les vy size=4haAinsi le dieu, inaccessible sous sa forme suprême (para ), se manifeste-t-il par des expansions (vy ha ) émanant les unes des autres. On en compte quatre qui contribueront à faire apparaître tout ce qui existe, depuis la création la plus subtile jusqu’à celle des objets matériels, produits par l’union d’éléments antérieurement émis. Il ne faut jamais perdre de vue le fait que, pour l’Inde, toute création est une émission (s リルレi – de S リJ, émettre) et que le processus d’apparition du monde ne fait que continuer celui des expansions divines. Les quatre vy ha s’apparentent à la tradition krishnaïte ; en effet, la première porte le patronyme même de K リルユa, identique d’ailleurs à l’une des appellations de la Personne suprême, V sudeva; la deuxième, Sa ュkar ルa ユa, est désignée du nom de Balar ma, le frère de K リルユa; enfin, Pradyumna et Aniruddha, les deux dernières, évoquent l’un des petits-fils et l’un des arrière-petits-fils de K リルユa.Les avat size=4raEn ce qui concerne le maintien de l’ordre (dharma ), on ne parle plus de vy ha mais de vibh va (manifestations) ou d’avat ra (descentes); cette série représente l’une des doctrines les plus populaires de l’hindouisme vichnouite. Chaque fois que le désordre apparaît dans le monde – le désordre moral entraînant toujours un désordre cosmique –, la divinité intervient. Elle s’engage dans le relatif en s’incarnant pour rétablir l’équilibre d’un univers chancelant. Principe de l’ordre, elle affronte ceux du désordre, représentés le plus souvent par les asura . Le mot «démon» traduit mal la notion personnifiée par ces éléments perturbants. On peut envisager ceux-ci comme étant des antidieux, car, dans un état antérieur de la religion, deva et asura étaient deux classes d’êtres d’un pouvoir égal. Les dieux n’ont assuré leur souveraineté qu’en s’emparant du soma , la liqueur d’immortalité; et, périodiquement, les asura tentent de rétablir leur empire. La lutte qu’ils se livrent alors représente l’un des thèmes les plus courants et les plus anciens de la mythologie védique. Jadis Indra était leur adversaire attitré; on a vu que Vi ルユu, d’abord auxiliaire d’Indra dans cette tâche, se substitue peu à peu à lui. Les avat ra sont, d’une certaine manière, les témoins de cet héritage.La théorie de ces descentes semble n’avoir revêtu sa forme actuelle qu’aux environs de l’ère chrétienne. Bien que traitant des dix avat ra qui figurent dans la tradition classique, le Mah bh rata , lorsqu’il en donne une liste, n’en cite souvent que les quatre premiers, ceux où la divinité s’incarne sous une forme animale ou semi-animale: le poisson, la tortue, le sanglier et l’homme-lion. Les trois premiers sont, en fait, des emprunts à la légende de Praj pati-Brahm , le démiurge. L’incarnation du poisson se relie, par ailleurs, au mythe du déluge et de Manu, le premier homme; Vi ルユu reprend à son compte, avec ses légendes, les traits de celui qu’il va lui-même émettre, en vue de la création universelle.Ainsi a-t-il absorbé, au cours des siècles, des traits caractéristiques d’autres divinités. L’une de ses appellations, Hari (le Fauve), un des noms du feu, trahit peut-être des affinités avec celui-ci, réponse terrestre à ce que sont le Soleil dans le ciel et la foudre (vajra ), l’arme d’Indra, dans l’espace intermédiaire.Le nombre des avat ra ira croissant; en fait ils sont innombrables, car la divinité peut soit s’incarner en totalité, soit aussi, à l’occasion, dépêcher une partie seulement d’elle-même dans l’univers. On finit même par considérer qu’un maître spirituel, qui transmet la doctrine, est une incarnation du dieu.Toutefois, on donne traditionnellement une liste qui ne comprend que dix avat ra, avec parfois de légères modifications quant à l’ordre ou à la personne des titulaires. En gros, neuf des noms ne varient pas. Les trois premières descentes, thériamorphes, sont suivies de celles de Narasi ュha, mi-homme mi-lion, et de V mana, le nain devenu géant; puis de celles des trois héros divinisés: Para ごur ma, R ma et K リルユa; enfin, de l’incarnation à venir, celle qui accompagnera la destruction universelle, Kalkin, cavalier ou homme à tête de cheval. L’avat ra au sujet duquel existent quelques flottements est celui du frère de K リルユa, Balar ma (Sa ュkar ルa ユa dans la série des vy ha), que certaines listes remplacent par le Buddha.Parmi ces manifestations, deux grandes figures dominent de loin les autres; il n’y a pas de commune mesure entre R ma ou K リルユa et le sanglier ou l’homme-lion. Comme c’était déjà le cas à haute époque, le rôle majeur est tenu par K リルユa, tandis que R ma donne l’impression d’avoir été d’abord un héros qui fut divinisé avant d’être, en dernier lieu, identifié à Vi ルユu lui-même. Il a eu, néanmoins, surtout dans le sud de l’Inde, de nombreux adeptes.La déesseTrès tôt, on adjoindra à Vi ルユu une divinité féminine, えr 稜, dite aussi Lak ルm 稜, elle aussi personnage complexe. En fait, えr 稜 et Lak ルm 稜 ont une origine différente, mais on les a assimilées l’une à l’autre dès l’époque védique. えr 稜, la Prospérité, est parfois identifiée à la Terre. On l’unit non seulement à Vi ルユu, mais au Puru ルa cosmique, si proche de Praj pati, le premier procréateur. Ce n’est d’ailleurs là qu’un lien de plus entre Vi ルユu et le Puru ルa.Dans le ブgveda , en annexe au livre V, on trouve un えr 稜s kta (prière à えr 稜) qui est demeuré populaire et qui met en relief son rôle de déesse agraire assurant la fécondité aux végétaux, aux troupeaux et aux hommes – caractère qu’elle partage avec Lak ルm 稜 et qui a dû contribuer à leur identification. Lak ルm 稜 personnifie tout ce qui est favorable, notamment le blé mûr.À えr 稜 on assimilera aussi プa ルth 稜, qui est plus souvent rapprochée de Durg , la parèdre de えiva, mais qui possède aussi le pouvoir d’exaucer les vœux. Par ailleurs, la parenté avec la Terre est un trait constant de la compagne de Vi ルユu: dans l’avat ra du sanglier, c’est pour la tirer du fond des eaux que Var ha plonge dans l’océan. L’iconographie la montre assise sur le bras du dieu qui vient de l’arracher aux abîmes. Plus tard, les représentations figurées et les textes qui assignent deux épouses au dieu indiquent que えr 稜-Lak ルm 稜 se tient à sa droite et Bh , la Terre, à sa gauche. Enfin, le nom du modèle des femmes, l’épouse parfaite de R ma, est S 稜t , ce qui signifie «sillon», et on la donne pour fille de la Terre.Lorsque le tantrisme s’infiltre dans les doctrines vichnouites, le rôle de la déesse va croissant. Elle devient, comme dans tous les mouvements gagnés par le shaktisme, l’énergie personnifiée du dieu, inséparable de lui. Elle cessera de lui être subordonnée pour devenir quelquefois son égale; il viendra même une époque où les prières s’adresseront à elle plus souvent qu’à lui.L’image qu’on se fait de Vi ルユu varie selon qu’il s’agit du dieu lui-même, dans la gloire de son ciel, le Vaiku ユレha, ou de l’une de ses manifestations. Bien que relevant d’une théorie plutôt abstraite, il faut noter que les textes reconnaissent à chaque vy ha une couleur particulière: blanche pour V sudeva, rouge pour Sa ュkar ルa ユa, étincelante comme la lumière (ou jaune) pour Pradyumna, bleu sombre pour Aniruddha.D’autre part, lorsqu’on parle de N r ya ユa, la vision qui s’impose est celle du dieu couché que le grand serpent Ananta – dont Balar ma est une incarnation – porte à la surface des eaux cosmiques.Quant à K リルユa, c’est tantôt l’enfant espiègle, tenant à poignée un serpent, tantôt le jeune pâtre joueur de flûte, appuyé sur une seule jambe. On peut remarquer que, sauf dans des groupes sculptés ou peints, on ne représente guère le dieu guerrier de la Bhagavad G 稜t . Mais, inséparable de l’idée de K リルユa est celle du V リndavana, le parc aux bestiaux des environs de Mathur où il a passé sa jeunesse; cette image répond, en contexte krishnaïte, à celle du Vaiku ユレha, où trône le dieu sous sa forme de Vi ルユu.Pour les besoins du culte, Vi ルユu est représenté tantôt debout, tantôt assis sur l’aigle mythique Garu ボa, qui lui sert de monture (v hana ) et dont le culte lui est étroitement associé. Les légendes concernant Garu ボa sont anciennes; l’une d’elles l’oppose à Indra, dont le vajra (foudre) est brisé; ce détail apparaît comme une marque de plus du pouvoir déclinant d’Indra et de la force croissante de Vi ルユu. Autant que le roi des oiseaux, Ananta ou えe ルa, le roi des serpents, ne se sépare pas du dieu; support de son sommeil yogique, il l’abrite de ses capuchons et ses manifestations accompagnent celles du dieu: il est Sa ュkar ルa ユa, il est aussi Balar ma. On ne saurait avoir une idée du personnage de Vi ルユu si l’on ne gardait en mémoire cette caractéristique foncière des avat ra, qui ne le concerne pas seulement lui-même mais aussi ceux qui sont inséparables de sa manifestation primordiale.Contrairement à ce qui se passe dans le cas de Rudra- えiva, la légende ne donne pas de fils à Vi ルユu en tant que Dieu suprême. Toutefois, il peut en avoir en tant qu’avat ra: ainsi les épopées parlent-elles des fils de R ma et de K リルユa.C’est probablement sa fonction de protecteur du monde qui fait de Vi ルユu un dieu essentiellement bienveillant. Dans le climat vichnouite se développeront les cultes de dévotion (bhakti ) que la Bhagavad G 稜t exprimera pour la première fois. Une telle attitude s’étendra à des traditions bien différentes, mais les rapports d’amitié entre la divinité et ses fidèles ont une origine vichnouite. Même s’il existe une forme terrible de la divinité – Narasi ュha, l’homme-lion –, sa colère est épisodique et provoquée par la persécution que subit l’un de ses dévots; les manifestations divines sont, pour la plupart, imprégnées de mansuétude. La protection divine ne connaît pas de fin; elle ne cesse pas lors de la dissolution universelle, puisque, durant son sommeil magique, Vi ルユu continue de porter en mémoire le schème moteur qui, protégé par lui, resurgira intact et se remettra à évoluer à la fin de la nuit cosmique.2. Le vichnouismeL’histoire du vichnouisme se développe en fonction de l’évolution qu’a subie la conception même du dieu. Le ブgveda ne contient pas d’hymnes à Vi ルユu en tant que tel, mais, dans la mesure où le Puru ルa apparaît comme l’une des composantes majeures de la physionomie ultérieure de celui-ci, on peut considérer que le Puru ルas kta se relie au vichnouisme. Il s’agit, on l’a vu, de l’hymne X.90, qui donne pour origine à la création du monde le sacrifice du Géant cosmique.Dans les antiquités vichnouites, la position centrale du Puru ルa par rapport au sacrifice figure parmi les caractères qui continueront d’imprégner la pensée plus tardive. L’une des upani ルad védiques qui relèvent du Yajurveda noir, et que l’on a de bonnes raisons de tenir pour ancienne, se réfère au dieu sous son nom de N r ヮana: il s’agit de la Mah n r ya ユa Upani ルad , laquelle s’inscrit à la suite des passages du えatapatha Br hma ユa , qui les premiers exaltaient le porteur de ce nom.Le bh gavatisme, lié plus directement à l’aspect krishnaïte du dieu, doit être regardé comme une forme ancienne de la religion. À ce moment, K リルユa n’est pas encore tenu pour un avat ra; il est le Dieu personnel dans sa totalité, le Bhagavant, ce gracieux Seigneur qui laisse accéder à lui ses fidèles (bhakta ) pour participer à son être. Une telle position est attestée au IIe siècle avant J.-C. par une inscription de Besnagar, dans le centre de l’Inde: le dédicataire du pilier porteur de l’inscription se déclare bh gavata , disciple du Bhagavant. L’intérêt de ce texte se double du fait qu’il atteste la fusion, dès cette époque, de Vi ルユu et de K リルユa, car, si le nom divin mentionné est celui, krishnaïte, de V sudeva, la colonne porte un Garu ボ , monture et emblème de Vi ルユu.Il se peut que la Bhagavad G 稜t soit quelque peu antérieure. On a récemment émis en Inde l’hypothèse selon laquelle elle aurait été le noyau central du Mah bh rata (S. Jaisval); autour de cet enseignement du krishnaïsme bh gavata serait venu se grouper un ensemble de légendes et de mythes ordonnés à l’intérieur d’un récit-cadre. Même si cette position n’est ni prouvée réellement ni prouvable, il est certain que le Mah bh rata – la grande épopée indienne dont la composition s’étend sur six ou sept siècles (du IIIe s. av. J.-C. au IVe s. apr. J.-C.) – est, en dépit de nombreux passages en l’honneur de えiva, un texte d’obédience vichnouite.Cette position est encore bien plus marquée en ce qui concerne la deuxième épopée sanskrite, le R m ya ユa , dont la composition s’étale à peu près sur la même durée que celle du Mah bh rata . Son héros, R ma, se présente simplement, dans les parties les plus anciennes, comme le modèle des princes vertueux, mais les chapitres récents le donnent pour un avat ra de Vi ルユu.Sous le nom de S tvata, tribu pastorale à laquelle appartenait la famille de K リルユa, il ne faut probablement pas chercher une secte différente de celle des bh gavata. L’appellation met simplement en lumière le côté d’abord régional d’un culte qui, par la suite, se répandra dans l’Inde entière. Il s’agit là de l’arrière-plan religieux devant lequel va s’édifier le vichnouisme tel qu’on le rencontre au début de l’ère chrétienne.Les deux courants des vaikh size=5nasa et des p size=5ñcar size=5traC’est vers cette époque que, dans la tradition vai ルユava (vichnouite), commencent à s’affirmer deux grands courants, qui existent encore de nos jours et qui durent différer d’abord sur des questions de rituel. L’un se réclame d’un docteur yajurvédique, Vikhanas, dont les adeptes, les vaikh nasa , entremêlent de pratiques empruntées au védisme d’autres rites et de croyances appartenant aux formes du brahmanisme plus récent, mieux connu sous le nom d’hindouisme. Bien qu’il proclame aussi, en toute occasion, son attachement à l’aspect ancien de la religion, l’autre courant, le p ñcar tra , introduit un certain nombre de doctrines qui lui sont particulières; il semble qu’il soit en liaison directe avec la secte des bh gavata.Sur le terme même de p ñcar tra , on n’est pas d’accord; la traduction littérale, «les cinq nuits», a reçu de multiples interprétations. Il se peut que le terme désigne une forme spéciale du culte où les cérémonies orchestrées par N r ya ユa et dont traite le Satapatha Br hma ユa s’étalaient sur cinq journées (ratra , ou r tri , désignant en sanskrit la durée de vingt-quatre heures).Par ailleurs, à l’aide d’une de ces étymologies difficiles dont l’Inde a le secret, la tradition se plaît à voir sous le terme r tra un dérivé de RA, donner. Ainsi les cinq r tra désigneraient les cinq espèces de manifestations de l’ultime Réalité. Quoi qu’il soit, le p ñcar tra, qui présente un certain nombre de ressemblances doctrinales avec la secte shivaïte des p ごupata attestée vers la même époque, apparaît tout constitué dans le Mah bh rata . On y trouve au douzième chant une section dont le titre même indique la coloration religieuse: les dix-huit chapitres du N r ya ユ 稜ya parvan . Il s’agit, il est vrai, de l’une des parties les plus récentes de l’épopée; elle ne doit pas remonter plus haut que la seconde moitié du IIIe siècle après J.-C.Le «Hariva size=5ュ size=5ごa» et les pur size=5 size=5ユaÀ peu près contemporain, le Hariva ュ ごa (La Lignée de Hari , IVe s.) forme une sorte de suite du Mah bh rata , mais se préoccupe bien plus de légendes que de doctrines. Il narre les aventures de K リルユa, dont Hari est l’un des noms, dans une perspective qui est déjà celle des pur ユa. Il est vichnouite au sens général du terme, très marqué de krishnaïsme, bien entendu, mais non porteur de caractéristiques sectaires.Les pur ユa, autres textes épiques, prendront la relève et, se partageant selon des obédiences différentes – vichnouites, shivaïtes et même brahmaniques –, ils diffuseront mythes et légendes ayant trait aux dieux majeurs. Cependant, leur répartition est surtout affaire de classification théorique: en fait, ils sont principalement soit vichnouites, soit shivaïtes; mais les textes shivaïtes exaltent Vi ルユu et les textes vichnouites contiennent souvent des hymnes à えiva. On ne peut vraiment compter comme étant foncièrement vichnouites et sans référence au culte d’autres divinités que l’un des textes les plus anciens, le Vi ルユu Pur ユa (IIIe-IVe s.), marqué de croyances p ñcar tra, et l’un des plus récents (Xe s.), le Bh gavata Pur ユa , qui mélange une intense dévotion à K リルユa et une position philosophique d’un monisme très influencé, semble-t-il, par le courant de pensée issu de えa face="EU Updot" 臘kara.Il est probable que le fonds commun de tous les pur ユa remonte beaucoup plus haut que la forme qui leur a été donnée entre le IIIe et le Xe siècle de l’ère chrétienne. De ce fait, l’état du vichnouisme, tel qu’il s’y trouve exprimé, doit différer très peu de ce qu’il était déjà avant notre ère.On a vu que, dès lors, deux traditions vichnouites, celle des vaikh nasa et celle des p ñcar tra, poursuivaient leur évolution parallèle. Il semble que le rituel vaikh nasa ait prédominé durant plusieurs siècles et qu’il était suivi dans les principaux temples du sud de l’Inde.On possède peu de données sur ce qui se passait dans le Nord, les invasions islamiques ayant ravagé les lieux de culte, mais le Sud, resté partiellement à l’abri, fournit des renseignements assez abondants sur le développement religieux.Les a size=5ヤvar et les sa size=5ュhit size=5En pays tamoul, un groupe de poètes mystiques, les a ヤvar , qui composèrent leur hymnes entre le VIe et le IXe siècle, ont chanté dans leur langue leur amour pour Vi ルユu sous sa forme de K リルユa. Le krishnaïsme se présente donc, une fois de plus, comme le climat dans lequel s’est épanouie le plus aisément la dévotion vichnouite.C’est aussi sur l’aire géographique où l’on parle tamoul qu’une lignée de docteurs – dont le plus célèbre fut R m nuja – a exposé en sanskrit, vers les XIe-XIIe siècles, les doctrines du p ñcar tra. Celles-ci subsistaient, d’ailleurs, dans un certain nombre de textes plus anciens. Ces sa ュhit (collections) vichnouites, dont les plus anciennes doivent remonter aux Ve-VIe siècles, sont des ouvrages tantriques, faisant pendant aux gama du shivaïsme. Certaines sont d’inspiration vaikh nasa, d’autres p ñcar tra; toutes propagent les doctrines selon lesquelles s’affirme le culte de l’énergie divine personnifiée, えr 稜-Lak ルmi, inséparable du dieu lui-même.L’un des grands intérêts de ce genre de textes vient de ce qu’ils comportent chacun, à côté d’un exposé doctrinal, une section qui traite des pratiques du yoga et deux autres qui sont consacrées au rituel, tant sous son aspect collectif et social que sous son aspect individuel.C’est en liaison avec cette littérature tantrique que se succèdent des maîtres spirituels enseignant les doctrines et rites sous une forme plus philosophique; ils les débarrassent des légendes qu’on y trouvait entremêlées selon le mode de composition qu’utilisaient déjà le Mah bh rata et les pur ユa.Les size=5ごr size=5稜vai size=5ルユavaSi le rituel vaikh nasa dominait, la tradition p ñcar tra avait dû néanmoins se maintenir de façon continue. Les écrits de Yamun c rya, le maître de R m nuja, le prouvent abondamment, mais le disciple dépasse le maître de très loin par la rigueur et la profondeur de ses raisonnements, comme par la vigueur de son style. De même, c’est lui qui parviendra à instaurer (ou à restaurer) le rituel p ñcar tra dans un grand nombre de temples du sud de l’Inde. On a vu, à propos de la nature de Vi ルユu, que les textes considéraient en lui son aspect suprême (para ), ses expansions d’ordre cosmique (vy ha ) et ses descentes occasionnelles (avat ra ): ce sont là trois aspects du Seigneur parmi les cinq dont la tradition veut trouver la trace dans le nom même du p ñcar tra. Le quatrième, l’antaryamin , régent intérieur, Dieu présent au cœur de chacun, rejoint les plus vieilles notions upanishadiques: ainsi celle du «poucet» (purus ペ ) visible dans l’œil, réplique de l’homme d’or dans le Soleil, mais existant aussi, invisible, dans le cœur de l’homme.Le cinquième enfin, l’arc , est d’une importance capitale dans le culte: il s’agit de la représentation figurée en pierre, bois ou métal, objet d’adoration pour les dévots. Il ne faut point voir d’idolâtrie en cela, car une parcelle de la divinité se trouve incarnée dans l’image; c’est à elle que l’on rend hommage, non à la figure façonnée de main humaine. Avant de la livrer au culte, on doit la consacrer à l’aide de divers rites ; suivant l’expression technique, on lui «ouvre les yeux». La présence du Seigneur dans son image est un fait constant du vichnouisme: de nombreuses légendes citent les cas de fidèles qui disparaissent embrassés par la statue qu’ils adorent. Un des exemples les plus fameux est celui de la poétesse A ユボal, qui appartenait au groupe des a ヤvar: on s’apprêtait à célébrer ses noces avec l’image de Vi ルユu dans le temple, lorsque celle-ci, l’étreignant, l’absorbe en elle et la fait disparaître aux yeux des assistants. Ainsi le vichnouisme met-il l’accent sur cette fusion du dieu et du fidèle que provoque la dévotion. Celle-ci, la bhakti, n’est pas autre chose qu’une sortie du relatif pour rejoindre l’Absolu et s’y fondre.Le fait de considérer la statue comme vivante explique certaines modalités du culte qu’on lui rend. L’hommage quotidien à l’image fixe du dieu dans son sanctuaire reproduit les différents soins rendus par ses serviteurs à un personnage princier. Le prêtre chargé du service du dieu, selon des rites immuables et minutieux, chaque matin le baigne, l’habille, lui offre de la nourriture; puis, le soir venu, le déshabille pour la nuit selon un cérémonial qui est la réplique de celui du matin.Aux fêtes solennelles, on sort le dieu de son temple, qui est sa demeure; non pas la lourde statue de pierre, mais une plus légère et plus petite, en bois ou en métal, souvent copie de la statue fixe. En suivant un parcours rituel, on promène la divinité, fréquemment sur un char monumental auquel s’attellent des dizaines, parfois des centaines de dévots: c’est le cas, par exemple, en Oris , au temple du Jagann tha (Maître de l’univers), l’un des noms de Vi ルユu.Tel est le culte convenant à la multitude. Les fidèles plus éclairés recourent à un procédé d’intériorisation: il leur suffit d’invoquer le dieu en pensée, de se le représenter comme s’il était là en personne et d’exécuter mentalement les gestes de service et d’hommage que l’on ferait devant sa statue. Cette tendance remonte, elle aussi, à une époque lointaine. La Mah n r ya ユa Upani ルad insistait déjà sur l’aspect mental de l’oblation faite non plus au feu sacrificiel, mais au souffle, son symbole.Pu size=5ユボra, dik size=5ル size=5 et mantraLe fidèle vai ルユava se distingue par une marque (pu ユボra ) qu’il se trace sur le front avec de la cendre; ce signe se compose de trois lignes verticales dont seule celle du milieu est parfaitement droite; les deux autres, légèrement obliques, se rapprochent un peu vers leur base.On en a donné diverses interprétations; l’une des plus courantes voit dans ces traits la schématisation d’une empreinte des pieds divins que l’on s’imprime sur le front en signe de soumission et d’humilité. «Mettre sa tête sous les pieds de quelqu’un» est d’ailleurs une formule qui marque le respect et revient fréquemment dans les textes.Seul le fidèle qui a reçu la dik ル (consécration) a le droit de se revêtir de ce signe. Comme dans toutes les autres traditions de l’hindouisme, l’initiation joue un rôle important dans la vie religieuse, même si les groupes vichnouites plus récents, en particulier le ルr 稜vai ルユavisme issu de R m nuja, ont simplifié les cérémonies: en effet, un maître de maison qui connaît les traités peut conférer le premier degré de l’initiation, sans qu’un célébrant soit spécialement requis.Un des points les plus importants de l’initiation concerne le mantra . Chaque secte – outre toute une gamme de courtes prières (mantra ), brèves invocations ou louanges adressées à la divinité – possède un mantra spécifique où figure le nom sous lequel le dieu est invoqué de préférence dans la secte. La remise du mantra de base (m lamantra ) est une partie essentielle de ces cérémonies qui introduisent solennellement le fidèle dans un groupe religieux.Après ce premier pas, celui qui aspire à devenir un vrai brâhmane vichnouite doit, par ailleurs, s’adonner à l’étude approfondie des textes sacrés, c’est-à-dire non seulement ceux qui relèvent de la Révélation commune, mais aussi les textes particuliers tenus pour essentiels et variant suivant les différentes sectes.Le parfait brâhmane vichnouite et la bhaktiCelui qui a entrepris de se consacrer tout entier à l’adoration du dieu mène une existence minutieusement réglementée, entièrement dominée par l’observance de multiples rites qu’il doit exécuter en son honneur. Pour le pieux vai ルユava, la journée se découpe en cinq périodes soumises à des règles strictes. La première, l’abhig ma , commence avant le lever du soleil; chaque geste s’accompagne de la répétition des noms du Seigneur, les invocations et les méditations se poursuivant durant les ablutions rituelles, les purifications de rigueur et le bain qui les suit; cette période se termine par les prières du matin. Ainsi purifié physiquement et mentalement, le brâhmane vichnouite se met à rassembler les divers matériaux nécessaires au culte: fleurs, parfums, graines, etc.; pendant cette nouvelle phase, l’upad na , il cherche à approfondir sa paix intérieure à l’aide de lectures et de conversations pieuses. Vient le bain du milieu du jour; c’est le moment de l’ijy , l’adoration; après avoir médité ardemment sur les maîtres de sa secte et sur Dieu, le Maître suprême, le dévot célèbre la p j , le culte proprement dit. Le repas, qui ne doit pas troubler l’atmosphère méditative où est plongé le brâhmane, est ponctué d’offrandes aux souffles (pr ユa ) et de la répétition des noms divins; ceux-ci sont très nombreux; certaines litanies en comptent jusqu’à mille et leur récitation est un exercice vivement recommandé. Après le repas, le brâhmane vichnouite doit se livrer à la méditation des textes sacrés; la prière du soir – juste au moment où le soleil disparaît – met fin à cette période d’étude (sv dhy ya ). Quant au cinquième stade, on le nomme yoga , mais en donnant à ce terme un sens spécifique d’union; ici prennent place les pratiques par lesquelles le fidèle cherche à s’endormir dans la pensée du dieu et de ses perfections.On a souvent dit que Vi ルユu était le dieu des brâhmanes; néanmoins, tous les mouvements réformateurs se sont efforcés de faire du vichnouisme une religion ouverte à tous. L’abondance des réglementations ne doit pas nous induire en erreur; il ne faut pas oublier que c’est dans cette tradition religieuse que sont probablement nés et, en tout cas, se sont épanouis les cultes de dévotion (bhakti ) dont la G 稜t est le premier texte important. Dans cette perspective, le rite en lui-même n’est qu’un support. Il n’atteint sa véritable efficacité que s’il s’accompagne du sentiment de confiance et d’amour qui précipite le fidèle aux pieds de la divinité et lui inspire le désir passionné de se joindre à elle.En échange, le dieu, de son côté, se penche vers le dévot et lui accorde d’accéder à lui. La libération, pour un bhakta, ne consiste pas seulement à échapper au cycle de la transmigration, mais aussi à rejoindre le Seigneur et à se fondre en lui, comme l’illustrent les légendes de la disparition, à l’intérieur de la statue, de ceux qui, l’esprit concentré dans la pensée du dieu, lui rendent un culte.3. Les sectes vichnouitesLes principaux traits du vichnouisme se sont maintenus sans grands changements à travers les siècles; toutefois, sous l’influence des mouvements ごakta d’origine shivaïte, s’est développée une tendance à donner de plus en plus d’importance au principe féminin えr 稜-Lak ルm 稜. D’autre part, des différences de détail apparaissent dans les diverses sectes: contamination de cultes locaux qui ont été assimilés mais confèrent par endroits une coloration particulière, ou influence d’un grand réformateur religieux donnant forme à des idées qui, jusqu’à lui, conservaient un certain flou.Il est probable que ce mécanisme a toujours joué, même à haute époque, ainsi qu’en témoigne par exemple la multiplicité des écoles védiques. Mais, pour les premiers siècles de l’ère chrétienne, on ne sait pas grand-chose sur les particularités locales du vichnouisme; seuls sont connus quelques grands courants; il faut attendre le Xe siècle pour qu’affluent les témoignages sur la formation de diverses sectes, qui coïncident généralement avec le développement du culte de えr 稜.R size=5m size=5nuja, Nimb size=5rka et MadhvaLe groupe religieux où a vécu R m nuja (XIe-XIIe s.) comptait déjà des maîtres réputés, en particulier Yamun c rya. R m nuja en fut cependant le véritable réformateur. Bien que vedântin et se réclamant de l’enseignement des upani ルad, il entreprit, dans ses écrits, de réfuter la doctrine de non-dualité absolue qu’avait enseignée えa ユkara et qui n’accordait aucune réalité à la création. R m nuja, au contraire, défend celle-ci: tout ce qui existe est non différent du Seigneur, mais est aussi réel que lui et trouve en lui son support et sa justification.Le culte de えr 稜 s’affirme dans le nom même que portera son groupe religieux; les ごr 稜vais ユava sont les fidèles à la fois de Vi ルユu et de えr 稜. Les successeurs de ce culte se partagent en deux grandes branches: à l’extrême sud du pays tamoul, les te face="EU Updot" 臘galai continueront à subordonner la déesse au dieu: elle est le premier des êtres créés; les va ボagalai , plus septentrionaux et implantés dans des régions davantage marquées par le shaktisme, accorderont à えr 稜 une place de plus en plus importante.Les positions râmânujiennes se sont diffusées vers le Nord, en particulier par l’intermédiaire d’un autre vedântin, Nimb rka, qui se proclamait disciple de R m nuja, bien qu’il lui fût postérieur d’environ un siècle. Plus qu’au couple Vi ルユu- えr 稜, c’est à l’aspect K リルユa-R dh qu’il voue son adoration. D’autre part, à la bhakti qu’avait prêchée son prédécesseur, il substitue la prapatti , le complet abandon à Dieu, qu’on peut considérer comme un degré de plus dans la confiance du fidèle.Toujours dans l’orbite vedântine se succèdent plusieurs mouvements vichnouites importants. Au XIIIe siècle, Madhva, originaire du pays kanna ボa, y fit école, ainsi qu’au Maisur. Seul parmi tous les grands penseurs de l’Inde, il proclame un dualisme radical: la création est distincte du Seigneur, le monde matériel du monde des âmes. Sur le plan purement religieux, il partage ses adorations entre les deux grands avat ra, K リルユa et R ma ; mais à travers ces deux manifestations limitées transparaît la Personne suprême, Vi ルユu, l’Unique.R size=5m size=5nanda, Vallabha, Caitanya et Tuls size=5稜 D size=5sAu début du XVe siècle, c’est dans le Nord, à Bénarès, que surgit une grande figure vichnouite, R m nanda, issu d’une famille d’origine méridionale. Ses doctrines l’apparentent, semble-t-il, à la tradition râmânujienne. Toutefois, son culte s’adresse à R ma, non à K リルユa. Il existait depuis longtemps, dans le sud de l’Inde, une secte consacrée à R ma, mais, avant R m nanda, elle n’avait pas trouvé de véritable porte-parole. Plus encore que R m nuja, qui avait pourtant voulu faire du vichnouisme une religion accessible à tous, il accentue l’ouverture vers les hors-castes et les non-hindous. Pour mieux atteindre la foule, il abandonne le sanskrit et écrit en langue vulgaire. Ni lui ni ses disciples n’ont tenté de fonder vraiment une secte, ayant plutôt adopté une attitude mystique qui devait agir sur les mouvements tardifs.Au XIIIe siècle déjà avait vécu, également à Bénarès, un certain Vi ルユusvam 稜, dont les doctrines semblent inspirées de celles de Nimbârka. Dans cette lignée spirituelle naquit, à la fin du XVe siècle, Vallabha, br hmane d’origine telugu, qui marqua un retour très accentué dans le sens de l’explication moniste des doctrines vedântines: les âmes individuelles pas plus que le monde extérieur ne se distinguent du seul Existant, K リルユa, Brahman suprême, supérieur à la triade classique, Vi ルユu- えiva-Brahm . Par ailleurs, très influencé par le shaktisme, Vallabha voit en R dh l’énergie co-éternelle, inséparable de K リルユa. Son fils lui succéda à la tête de la secte, qui fut longtemps florissante, particulièrement au Bengale et dans les environs de Mathur .On avait toujours eu tendance, dans l’hindouisme, à identifier le maître spirituel (guru ) avec la divinité qu’il honorait. Dans les milieux où se diffusa l’enseignement de Vallabha, l’identification se marqua, entre autres, par le fait que le palais du guru – appelé mah r ja (souverain) et non c rya (maître) – servait aussi de lieu de culte. Le guru étant K リルユa incarné, ses fidèles se considèrent comme étant les bergers (gopa ) et les bergères (gop 稜 ) que chantaient le Bh gavata Pur ユa et surtout un texte mystico-érotique du XIIe siècle, le G 稜t govinda de Jayadeva. Cette interprétation entraîna des abus et, vers le XVIIIe siècle, la secte s’émietta en divers sous-groupes.Presque en même temps que Vallabha vivait, d’abord au Bengale, puis en Oris , Caitanya, qui fonda une autre secte tout imprégnée d’affectivité. Il ne parle plus de bhakti ni même de prapatti mais de preman , l’amour passionné que le dévot doit vouer à Dieu. Dans le culte, il accorde une place prééminente à la louange chantée et à la récitation des noms du Seigneur. En dehors de ces deux pratiques, il ne s’intéresse guère aux rites, car seul, à ses yeux, compte l’attachement inconditionnel à K リルユa. La tendresse qu’il porte à celui-ci rejaillit sur les créatures; aussi s’élève-t-il contre les préjugés de caste d’une façon plus radicale même que R m nuja ou R m nanda. Les disciples immédiats de Caitanya, six gosvam 稜 (titre spécial à ce groupe religieux), s’établirent à V リユdavan, là même où naquit le krishnaïsme ; la secte y demeura vivante jusqu’au XVIIIe siècle. Caitanya eut aussi de nombreux adeptes en Oris et en Assam. Après une éclipse de près de cent ans, l’influence de ses enseignements s’est exercée indirectement, à la fin du XIXe siècle, dans le Brahmo Samaj, église unitaire, donc non spécifiquement vichnouite, fondée par R j R m Mohan Roy.Tuls 稜 D s, qui naquit au début du XVIe siècle, se rattache davantage au courant de R m nanda qu’à celui de Vallabha ou à celui de Caitanya. Il résidait habituellement à Ayodhy , d’où il partait pour des tournées de prédication, avant de se fixer, lui aussi, à Bénarès. R ma est le nom sous lequel il rend hommage au dieu; son grand poème R macaritam nasa connut une large diffusion à travers l’Inde entière; mais, comme pour R m nanda, il faut voir en lui moins un réformateur ou un chef de file qu’un mystique, dont les écrits exercent leur rayonnement encore aujourd’hui.Le vichnouisme dans l’ouest de l’IndeLe courant vichnouite a revêtu dans l’ouest de l’Inde, au M h r ルレra, une forme originale. Le substrat vichnouite – et surtout krishnaïte – y remontait à haute époque. Déjà le Mah bh rata présentait Dv raka comme la ville fondée et gouvernée par K リルユa. Nombreuses étaient, dans ces régions, les tribus pastorales qui se proclamaient les fidèles du dieu berger. On a connu assez tôt, dans ces mêmes contrées, certains sages qu’on disait avoir expérimenté la Réalité suprême et auxquels on donnait le nom de sant , terme que l’on traduit, approximativement, par «saints».Vers le moment où, dans le Sud, se développait le ごr 稜vai ルユavisme, l’appellation en vint à s’appliquer tout spécialement à une catégorie de fidèles vichnouites qui honoraient le dieu sous le nom de Vi hal ou Vi レhoba. Ainsi que pour les disciples de R m nanda et de Tuls 稜 D s, il s’agissait moins d’une secte organisée, avec ses prêtres et ses laïcs, que d’un certain climat mystique. Le vichnouisme des sant apparaît très épuré; et il semble avoir échappé longtemps à l’influence du shaktisme. C’est tardivement qu’on a révéré, aux côtés du dieu, Rukmin 稜, l’épouse de K リルユa – l’épouse et non plus R dh , la favorite, ce qui indique une coloration affective assez différente.Les deux noms marquants de ce courant religieux sont ceux de Jñandev, au XIIIe siècle, et de Namdev, au XIVe siècle. Ce dernier devait proscrire le culte des images; peut-être faut-il voir dans ce refus, si frappant par rapport à l’hindouisme traditionnel, l’influence de l’islam, solidement établi sur la côte occidentale de l’Inde. On peut y discerner aussi une conséquence extrême de la pensée vichnouite: le ごr 稜vai ルユavisme n’ayant cessé de proclamer l’omniprésence divine, pourquoi donc rendre hommage à Dieu sous une forme limitée? Namdev, par contre, a conservé une pratique ancienne: la récitation des noms du Seigneur. De nombreux recueils, relatant la vie et les actions légendaires des saints marathes, existent en langue vulgaire et connaissent encore aujourd’hui une grande faveur.Au XVIIIe siècle, un autre mystique célèbre de la région marathe, Tukaram, marque plutôt un retour vers les formes habituelles de la religion. Toutefois, il témoigne lui aussi d’une sorte d’éloignement par rapport au culte des images; il admet seulement la représentation de Vi レhoba et de son épouse; encore n’y découvre-t-il, probablement, qu’un support de méditation et un symbole, en aucun cas une incarnation divine, comme le fait le vichnouisme traditionnel.Lorsqu’on parle de vichnouisme ou de shivaïsme, il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agit seulement de modalités différentes d’une réalité plus large qui est l’hindouisme. Dans ces deux grands courants, une multitude de canaux, plus ou moins importants, prennent leur source.Il existe dans le vichnouisme actuel une forme de culte très générale, qui est pratiquée dans toute l’Inde, même dans des temples consacrés à えiva. Parallèlement, la vie des sectes se poursuit. Mais le mot «secte» est gênant et rend compte imparfaitement des faits. Il faut parler plutôt de groupes religieux qui se rattachent à une même tradition, à un même réformateur, qui s’appuient de préférence sur tel texte sacré et récitent telles invocations plutôt que d’autres. D’un temple à un autre, même appartenant au même groupe religieux, certaines pratiques différentes peuvent s’établir et se maintenir. On ne doit pas trop s’arrêter à ces divergences; l’essence de la croyance est ailleurs et s’enracine dans la conception même de la divinité, celle-ci étant dominée par une contradiction fondamentale entre son immuabilité foncière et l’innombrable multiplicité de son action. Celle-ci, qui implique un passage de l’absolu au relatif, s’exerce toujours dans le sens d’une aide apportée à ce relatif: l’univers ou l’homme. Aussi le vichnouisme est-il le milieu où pouvait naître et s’épanouir une religion insistant sur les rapports affectifs entre le fidèle et le dieu.
Encyclopédie Universelle. 2012.